Il ne viendrait à personne l’idée de dépouiller les romans du XVIIIe et du XIXe siècle pour y remplacer toutes les occurrences de « phtisie » et « neurasthénique » par des diagnostics modernes. Ça serait nier la réalité de l’époque.
Nier la réalité de l’époque, c’est pourtant ce que fait une nouvelle édition états-unienne des Aventures de Huckleberry Finn, le controversé roman de Mark Twain. Le mot slave (esclave) y remplace nigger (nègre). On en a aussi fait disparaître injun (déformation du mot anglais Indian, c’est-à-dire « Indien »). Pour en savoir plus, voir le blogue de Richard Hétu, le Times Colonist ou Wikipedia.
En Belgique, l’album Tintin au Congo a suscité une controverse similaire à cause de sa description infantilisante des Noirs et il pourrait être interdit si Bienvenu Mbutu Mondondo a gain de cause, rapportait Le Vif.
Suggérera-t-on un jour de récrire Maria Chapdeleine pour mettre « Autochtones » là où Hémon a mis « Indiens » et « sauvages »?
C’est le retour de l’Index Librorum Prohibitorum, à cette différence : ce n’est plus Rome qui dicte ce que les jeunes âmes peuvent lire, mais les tribunaux et les universitaires révisionnistes!
Je crois dans le pouvoir des mots. Je crois que le langage façonne la pensée et je suis la première à insister pour l’utilisation d’un vocabulaire respectueux des personnes, représentatif des valeurs, coutumes et connaissances de notre société. Or, ces valeurs, coutumes et connaissances, elles ont considérablement changé, et continuent de changer; le langage évolue avec elles. On ne parle pas aujourd’hui comme on parlait au temps de Samuel Clemens — le vrai nom de Mark Twain. Gommer le passé en faisant la chasse au mot nigger ou en bannissant des histoires aux relents trop colonialistes, n’est-ce pas aussi, d’une certaine façon, gommer la lutte courageuse de ces hommes et de ces femmes qui ont préparé le terrain à la présidence d’un Obama ou à l’indépendance du Congo?
Au lieu de censurer ces livres ou de les appauvrir par une réécriture aveugle, si on faisait comme pour d’autres classiques, si on y ajoutait une introduction les replaçant dans leur contexte historique et politique?