Nous sommes déchirés par des pulsions contradictoires.
L’humain […] porte à la fois en lui le goût de vivre et l’instinct de la mort, l’ombre et la lumière, l’espoir et le désespoir(1).
La question du suicide assisté a refait surface dans les journaux il y a quelques jours. Une autre Britanno-Colombienne atteinte de sclérose latérale amyotrophique réclame, comme Sue Rodriguez avant elle, le droit de mourir avec l’aide de son médecin.
Embrouillaminis
Les médias embrouillent encore le débat en mettant dans le même panier les personnes qui militent pour le suicide assisté et celles qui dénoncent l’acharnement thérapeutique. J’ai déjà écrit sur le sujet, je ne vous resservirai pas la même salade. J’écrivais aussi plus tôt cette année que la sagesse réside parfois dans l’inaction, une voie contraire à la pensée technique(2) qui caractérise notre civilisation. Aimer quelqu’un, enseigne Stephen Jenkinson(3), c’est l’aimer jusque dans sa mortalité.
Leçons d’une mourante
Je pense qu’il faut avoir regardé la mort en pleine face, l’avoir toisée dans toute sa misère et sa splendeur pour prendre conscience du don fabuleux qu’elle nous offre, c’est-à-dire ce qu’elle nous apprend de la vie. Les gémissements de ma mère mourante, je ne les ai jamais oubliés, bien sûr. Surtout, je me rappelle le calme sur son visage quand ma sœur et moi prenions la guitare et jouions pour elle, la vastitude de son regard quand elle parlait à mon père. Dans sa chambre à la maison, transformée en un cocon d’amour par la solidarité de nos amies et de la parenté, le temps s’est souvent arrêté.
On s’étonne parfois du feu qui m’habite. Je croise au travail, dans l’autobus et dans les rues de cette ville tellement de morts-vivants, de pauvres hères qui parcourent sans entrain leur vie, yeux et poings fermés. Enfant, j’ai frôlé la mort. Au début de ma vingtaine, je l’ai regardée prendre ma mère, lentement, inéluctablement. De là vient, je pense, mon désir ardent de vivre la vie dans toute sa plénitude. Jusqu’au bout.
Sylvain Trudel a écrit : « c’est dans l’épreuve qu’on vient vraiment au monde » (4). Tels propos auraient enragés la jeune adulte que j’étais. Maintenant, je sais que c’est absolument vrai. Les arbres les plus solides ne sont pas ceux qu’on a tuteurés et abriés.
Une mort propre
Dans notre société, on cherche à balayer le plus vite possible la mort sous le tapis ou, à tout le moins, à la rendre « propre » — au point qu’elle en devient méconnaissable. Or, c’est justement la mort, la finalité de notre existence incarnée, qui bien souvent nous révèle le sens de la vie et nous enseigne ce qui a vraiment de la valeur. Là se cache aussi la clé (certes, parfois un brin oxydée ou rouillée) du bonheur.
[…] le bonheur étant cet équilibre impondérable entre « la détresse et l’enchantement » que l’homme atteint en s’abandonnant au mouvement même de la vie(5).