Comment choisissez-vous vos lectures? Vous laissez-vous influencer par les coups de cœur de votre libraire ou la provenance du livre? Une des librairies que je fréquente à Ottawa réserve un espace spécial aux talents locaux, un geste qui me plaît beaucoup — comme lectrice et comme autrice.
« Je n’en ai rien à cirer de la provenance du livre, je veux seulement qu’il soit bon », m’a rétorqué un lecteur avec qui j’ai récemment discuté de la question.
Certes la qualité est importante, et ce qui plaît aux unes ne plaît pas nécessairement aux autres. Il y a là une large part de subjectivité. Mais à qualité égale, quels sont les livres dont on entend le plus parler, lesquels sont le plus visibles sur les tablettes? La grosse machine promotionnelle derrière les meilleurs vendeurs provenant du monde anglo-saxon éclipse souvent d’excellents titres écrits ici.
Bibliophiles locavores
La dernière tendance en alimentation est le « locavorisme » : les locavores sont des subversifs qui vont à contre-courant de la mondialisation et privilégient les aliments produits dans un rayon de 100 à 250 km. Ils redécouvrent le plaisir de cultiver leur propre potager ou d’acheter directement à la ferme.
Lire local peut être tout aussi subversif. Je ne dis pas qu’il faut bouder tout ce qui vient d’ailleurs, mais plutôt diversifier son assiette littéraire. De temps en temps, il est bon de pouvoir envisager le monde à travers les yeux de quelqu’un qui le scrute depuis le même promontoire que vous.
Le noir pelage des écureuils qui gambadent autour de chez moi et ma familiarité avec nombre des lieux fréquentés par le narrateur ont, assurément, contribué à intensifier le plaisir que j’ai ressenti à la lecture du roman L’écureuil noir, de Daniel Poliquin. Pourquoi? Françoise Lepage, une écrivaine franco-ontarienne, l’a bien expliqué :
On dirait que l’endroit d’où l’on vient n’existe pas tant qu’il ne devient pas un lieu digne de mention dans un livre ou toute autre œuvre d’art. Comme s’il n’était pas grand-chose s’il ne méritait pas d’être raconté d’une façon ou d’une autre. C’est donc important pour l’identification de pouvoir se reconnaître.
Mon histoire, la leur, la nôtre
On grandit dans une famille, on prend plaisir à écouter les anecdotes des tantes, à connaître l’histoire de nos aïeux. Cela nous permet de nous situer dans cette famille, d’y trouver notre place.
On grandit aussi dans un lieu précis, qui a, lui aussi, une histoire, mélange de faits, de légendes, d’anecdotes et de récits de tous acabits. Connaître cette histoire permet de mieux comprendre ce lieu, de s’y enraciner.
Et puis, pour comprendre comment ce lieu s’insère dans le pays, quelle est sa place dans le continent et le monde, il y a les livres d’ailleurs.
L’écrivain ojibwé Richard Wagamese écrit sur son site (je traduis) :
Nous ne sommes qu’histoire. De notre venue au monde à notre envol pour le pays des esprits, nous tissons l’histoire de notre temps. Nous n’avons rien d’autre à notre arrivée sur la terre. Nous ne laissons rien d’autre quand nous la quittons. Ce que nous sommes ne se trouve pas dans les objets que nous accumulons. Il ne se trouve pas dans les choses que nous croyons importantes. Nous sommes histoire. Chacune et chacun de nous. Alors, au final, ce qui compte, c’est de tisser la meilleure histoire possible pendant que nous sommes ici — toi, moi, nous autres, tous ensemble. Quand nous y arrivons et quand nous prenons le temps d’échanger nos histoires respectives, nous devenons plus grands en dedans. Nous parvenons à nous voir vraiment les uns les autres, à reconnaître notre parenté. Nous changeons le monde, une histoire à la fois…