Je savais qu’en publiant Un jour, ils entendront mes silences, je serais appelée à parler de ma propre expérience comme personne handicapée. De prime abord, beaucoup cherchent d’ailleurs dans ce livre un reflet de mon vécu, un témoignage.
Art Edwards, dans le magazine The Writer de juillet 2012 considère l’engouement du public pour les récits autobiographiques (les mémoires) et compare leurs caractéristiques à celles du roman (1). Il souligne le voyeurisme inhérent à la lecture de tels récits, qu’il apparente à des « fenêtres sur le monde ». Les lire, c’est porter son regard vers l’extérieur. Tandis qu’un roman réaliste est une fenêtre sur nous-mêmes. Sa lecture demande un effort émotionnel; puisque le roman nous amène, en somme, à nous imaginer dans la peau d’un autre, à voir par ses yeux.
De fait, Un jour, ils entendront mes silences plonge la lectrice et le lecteur dans le monde de Corinne, dans son univers intérieur. Toute ma sensibilité de femme handicapée m’a servi à tisser cet univers, qui n’est toutefois pas le mien. Mon vécu de femme handicapée colore ce livre, et colore assurément tout ce que j’écris, même quand je ne parle pas de handicaps.
La pratique des artistes handicapés ne porte pas uniquement sur l’expérience du handicap. Mais je dirais qu’elle est née de l’expérience du handicap, et que pour être pleinement appréciée, elle doit être vue et entendue avec toutes ses résonances historiques et biographiques (2).
Je vois toujours le monde depuis mon siège sur roues; dans une foule, j’ai le nez dans vos derrières. Rien ne peut changer ça, et cette expérience me donne sur le monde un point de vue bien particulier — autant que la négritude de Senghor a façonné sa vision du monde et son œuvre littéraire.
C’est aujourd’hui la Journée internationale des personnes handicapées. Selon l’Organisation des Nations Unies, les personnes handicapées sont la plus grande minorité du monde (3) — une minorité qui peine encore à se faire entendre.
Une de mes lectures du moment a pour titre Parole de femme. Il s’agit d’un essai percutant sur la parole féminine; une parole infériorisée par la culture patriarcale dominante, celle-là même qui nous a donné ce qu’en France et aux Nations Unies on appelle encore les « droits de l’Homme » plutôt que « droits humains » en 2012 (4). Toute parole qui vient de l’autre — qui ne vient pas de cette culture dominante — ne tend-elle pas d’ailleurs à être marginalisée ou infériorisée (du moins, dans un premier temps)?
Cette parole, il faut pourtant la prendre, la porter le plus haut et le plus loin possible parce que, même si le monde est lent à changer, il change tout de même.
On pourrait, somme toute, comparer le monolithisme de la culture dominante au plein-chant. Aujourd’hui, nous expérimentons de plus en plus avec la polyphonie, style ô combien plus exigeant, au sein duquel la multitude et la variété des voix font toute la beauté de la musique. Entende qui a des oreilles!