Je m’interroge depuis trois jours sur ce que je pourrais bien écrire ici au sujet de la tragédie survenue au sud, dans une petite ville tranquille du Connecticut. Vingt-six morts : des femmes et des enfants. J’essaie de comprendre la souffrance qui a conduit un homme à devenir un instrument de mort alors que le désir de vivre est inscrit si fondamentalement au cœur de l’être humain — au point de nous faire imaginer des moyens sans cesse plus sophistiqués de prolonger la vie. Je m’interroge, et tout ce qui monte en moi, c’est le refrain de la célèbre chanson de Raymond Lévesque.
Encore une fois, l’indicible est arrivé par un homme. Les massacres sont toujours masculins, me semble-t-il.
J’ouvre au hasard le livre Parole de femme d’Annie Leclerc, acheté il y a quelques jours :
Mon corps accompagne les grandes pulsations rythmées de la vie. Il est le lieu de passage d’un mouvement qui le dépasse de toute part, mais qu’il éprouve intimement. Mon corps revient à lui-même par un cycle de métamorphoses. […] (1)
Rien dans la chair des hommes, dit-elle, ne témoigne de la courbure du temps, dont ils ont par conséquent une appréhension linéaire; cette appréhension faussée du temps fait naître en eux « le fanatisme de l’Histoire » et un insatiable besoin de conquête.
Les femmes et les enfants en font bien souvent les frais.
Bien sûr, pour expliquer le geste du meurtrier de Charlotte, Daniel, Rachel, Avielle, Benjamin et des autres qu’on enterre cette semaine dans une petite ville tranquille où le monde entier s’est invité, on peut invoquer une foule de raisons : facilité d’acheter des armes, troubles mentaux, banalisation de la violence par les jeux, les films et la télévision, médias qui n’hésitent pas à faire d’un bandit une vedette pour mousser leurs cotes d’écoute, etc. Au bout du compte, il y a ce besoin masculin de conquête, du pouvoir qu’on veut exercer sur l’autre plutôt qu’avec elle ou avec lui.
1. LECLERC, Annie. Parole de femme, Babel, 2001, p. 80-81.