Cher David,

J’ai appris avec un retard considérable la nouvelle de ta mort. Nous ne nous sommes jamais rencontrés. J’aurais aimé te présenter mon amie Jenny : elle aurait insisté pour que tu essaies la voile et t’aurait appris à commander un Martin 16 à la paille. Filer sur l’eau procure un tel sentiment de liberté — à condition de ne pas avoir peur de l’eau, bien sûr!

J’ignore ce que tu faisais avant de faire les manchettes. Aimais-tu la lecture, le théâtre, les beaux-arts? Si ta plus grande passion était l’escalade, le piano ou le rafistolage de vieux bazous, ta frustration a dû être grande après l’amputation de tes membres. Certes, on n’est jamais trop vieux ou trop magané pour commencer à cultiver une nouvelle passion, sauf que nous, êtres humains, avons souvent du mal à laisser aller ce qui est passé.

Permets-moi une question indiscrète : regrettes-tu ta décision d’en finir avec l’aide d’un ami? Es-tu heureux à présent ou est-ce que le désespoir qui t’habitait ici t’a suivi de l’autre côté? Je suis curieuse, vois-tu, d’autant plus que le gouvernement du Québec vient d’annoncer il y a quelques jours son intention de légiférer pour permettre « l’aide médicale aux mourants désireux qu’on mette un terme à leurs souffrances ». Je m’interroge sur la sagesse d’une telle loi parce que je m’inquiète pour celles et ceux qui, tout en étant encore habités par un désir de vivre, pourraient se sentir obligés de suivre ton exemple par crainte de déranger, d’être un peu trop encombrants…

Les médias ont parlé de ta colère quand tu as appris que ton cœur s’était arrêté à l’hôpital, mais que les médecins l’avaient forcé à rebattre. J’aurais probablement été en colère aussi. J’aime ma vie, j’entends bien l’aimer jusqu’au bout, de toutes mes forces, mais arrivée au bout, justement, je ne veux pas qu’on me retienne, parce que je crois qu’il y a un temps pour chaque chose; un temps pour vivre et un temps pour mourir. Ce sont les saisons de l’existence humaine. Je pense qu’il faut les honorer, plutôt que de chercher à les précipiter ou à les retarder; puisque chaque saison a ses beautés, de même que sa raison d’être.

Je sais, les saisons, on n’a plus pour elles le respect qu’on avait jadis. On veut manger des fraises et des asperges toute l’année.

Adieu, David. Je te souhaite de goûter enfin la paix et le bonheur.

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Sur la corde raide
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