La parole bouillonne en moi : une parole caustique, instinctive, chaotique que je m’efforce de dégrossir et structurer sur le papier.
J’ai le temps. Au contraire d’autres écrivaines et artistes, je ne suis pas déchirée par le « conflit entre maternité et création » (1). Mes déchirements à moi sont ailleurs, ils sont d’une autre nature.
Le niveau de scolarité des femmes a surpassé celui des hommes au Canada, rapportait-on plus tôt ce moi-ci (2). Notre parole continue cependant d’avoir moins de poids que celle des hommes. Nous ne nous intéressons pas aux mêmes enjeux que nos concitoyens (3) (4). De surcroît, on tend encore à nous chosifier. L’extrait d’une entrevue de Dustin Hoffman qui circule ces jours-ci sur la toile en dit long : pour qu’on porte attention à une femme, elle doit être belle. Automatiquement remonte en moi la parole d’Annie Leclerc :
[…] le premier ingrédient qui compose notre poison est notre valeur, capacité aux plus grands sacrifices, haute vertu du dévouement, généreuse puissance de l’abnégation et du silence.
Et le deuxième ingrédient de notre poison, qui n’agit véritablement que soutenu par le premier est celui de notre beauté, non pas comme un fait incontestable, mais comme un ultimatum ancré en nous-mêmes. Si tu n’es ni jeune ni belle (les deux conditions sont exigées), tu n’es plus ou pas véritablement femme, c’est-à-dire pour l’homme. (5)
Évidemment, les obstacles sont encore plus grands pour les femmes marginalisées qui veulent créer ou prendre la parole.
Comment encourager et soutenir l’expression des femmes à travers les arts? Voilà la question à laquelle réfléchit un petit groupe de femmes, dont je fais partie. Nous avons une idée, que nous travaillons actuellement à mettre au point. Je vous en reparlerai d’ici l’automne.
Entre-temps, Un jour, ils entendront mes silences continue de faire son chemin. Il a été récemment choisi finaliste des Prix Handi-Livres dans la catégorie « roman ». Le Fonds Handicap & Société par Intégrance et la Bibliothèque nationale de France coorganisent ces prix, qui visent à faire connaître une parole plutôt marginale, justement, à mettre en lumière des livres qui traitent des handicaps.
1. Pascale Navarro. « Des femmes en art », Gazette des femmes, 19 juin 2012.
2. « Le niveau de scolarité des femmes surpasse celui des hommes », Radio-Canada, 26 juin 2013.
3. « The female perspective », National Post, 10 juillet 2013.
4. « Women, especially in Canada, are more ignorant of politics and current affairs than men, says UK research », National Post, 2 juillet 2013.
5. Annie Leclerc. Parole de femme, édition 25e anniversaire, Babel (Actes Sud), 2001, p. 52.