D’une voix dégoulinante de dédain, la femme s’est exclamée :
— Quel gaspillage!
J’occupais le siège opposé au sien dans l’autobus. Son index pointait vaguement vers Maman, l’araignée géante qui accueille visiteuses et visiteurs sur l’esplanade du Musée des beaux-arts du Canada. Toutefois, son commentaire se voulait plus général : il englobait tout l’art public.
Je me suis alors remémoré la grisaille des cités soviétiques, l’atmosphère glauque de Poussière sur la ville : des lieux où on étouffe, où les âmes meurent à petit feu.
L’art public contribue, autant que les parcs publics, à la qualité de vie dans nos agglomérations, à l’indice brut de bonheur. Un peu de beauté aide à combattre la déprime.
— Vous trouvez ça beau, une araignée!?
La beauté, bien sûr, est subjective; et un brin de subjectivité ne peut qu’être bénéfique pour ce monde obsédé par l’efficacité et le profit. Car la subjectivité renvoie au « sujet pensant »; son existence confirme qu’il y en a encore parmi nous qui ne sont pas des automates, qui peuvent envisager la réalité de façon différente. Elle invite au questionnement (devant une œuvre comme Arête jaune, comme Sous béton ou comme Le iShow, peut-on faire autrement que se questionner?).
Il y a dans nos villes trop de gens en loques, parce que le malheur qu’ils connaissent est plus rassurant que l’inconnu de sa remise en question; trop de cyniques qui tournent tout en dérision, parce qu’ils croient impossible le changement — ou, plutôt, ils croient que si les choses changent, ce sera pour le pire.
Je me suis abonnée il y a quelque temps à l’édition numérique d’un tout nouveau magazine dont une amie avait dit beaucoup de bien : Nouveau projet. C’est un magazine rafraîchissant, parce qu’il est justement fondé sur l’idée que :
[…] les choses peuvent et doivent changer — dans notre société, mais aussi en nous-mêmes. (1)
À ce moment précis de l’Histoire, alors que collectivement nous semblons hésiter entre le radicalisme, l’inaction totale et le refuge dans une poésie aussi cute qu’inoffensive, Nouveau Projet prend parti pour la nécessité de choisir l’engagement, en soi et en sa société. De se mettre au service de quelque chose de plus grand que soi. De redéfinir ce qui est nécessaire, ce qui est important. Et d’ainsi, peut-être, chacun à notre manière, inventer une nouvelle conception de ce qui est possible. (2)
Il s’en trouvera sûrement pour répliquer qu’il n’y a que les rêveuses ou les fous pour tenir pareils propos. À une époque, on pensait que c’était pure folie que d’envisager un jour visiter la Lune. Et pourtant…
La féministe québécoise Thérèse Casgrain aimait à dire : « Si on y met le temps, on arrive à cuire un éléphant dans un petit pot! ». Les rêves se concrétisent par l’action, de la même manière qu’on fait cuire un éléphant dans un petit pot : morceau par morceau. Mais sans rêve, sans imagination, on ne va nulle part.
Un forum sur le pouvoir des arts, coorganisé par l’Université Carleton et la Fondation Michaëlle-Jean, a eu lieu le mois dernier dans la capitale. En entrevue au Droit, Jean-Daniel Lafond, coprésident de la fondation, résumait avec éloquence l’importance de l’art :
Protéger la créativité, c’est assurer notre pérennité, puisque nous sommes toujours à deux doigts de la barbarie, comme en font foi les images que nous pouvons voir dans les journaux et les bulletins d’information à la télévision. Et puis, il ne s’agit pas de faire l’aumône: un artiste est aussi important qu’un boulanger. Chacun offre une forme de nourriture à ses concitoyens.(3)
Photo : Wikipedia.
Franchement, oui, je la trouve très belle cette araignée, même si elle dégage quelque chose d’agressif et sûrement repoussant pour beaucoup de personnes.