« Qu’est-ce qu’un maître? » Dany Laferrière commence par cette question. Comme la bonne élève que j’ai toujours été, je suis au premier rang. J’ai sauté sur l’occasion de venir l’entendre, lui, l’immigrant haïtien qui, de Montréal, a conquis le Québec, puis la francophonie. Dans le style qui lui est propre, émaillé d’images et de grandes digressions qui ne sont que des façons de mieux approcher son propos, il parle sans notes, pendant plus de deux heures, aux quelques dizaines de personnes (des femmes surtout) qui ont eu le bonheur de mettre la main sur un billet pour cette classe de maître, offerte dans le cadre des Correspondances d’Eastman.
« Je deviens maître quand il n’y a plus personne entre moi et le néant », dit-il avant de se lancer dans une discussion sur l’art.
« Tous les arts existent parce que nous avons perdu le présent. » Nous découpons le réel pour arriver à le goûter, chose qu’un enfant sait faire tout naturellement, dit-il, philosophe. Mais comment retrouver le présent dans le « temps saucissonné », compartimenté qui est le nôtre? Bref, comment retrouver le plaisir (sans en avoir honte)? Il faut redevenir pareils à un enfant, explique-t-il; il faut réapprendre à sentir la fleur tout en se perdant dans la fleur.
De retour chez mon père, dans le village voisin d’Eastman, je suis installée dehors avec l’ordinateur portable. J’écoute le vent jouer dans le mobile de bambou et les feuilles des grands arbres tout autour; j’entends le vibrato des grillons. Si je ferme les yeux, je peux me perdre un instant dans cette symphonie estivale, oui.
Maintenant, il ne me reste rien qu’à transposer tout cela sur la page. Rien de moins…