Les transitions sont des moments dangereux qui nous perchent au milieu de rien, désintégrés par la perte de l’instant fort auquel on s’était habitué et l’inexistence de celui qui suivra (manger? travailler? pleurer?). C’est sûrement dans les transitions que les dépressifs sombrent dans la dépression, les criminels dans le crime, et les artistes dignes de ce nom dans des illuminations qui bousculeront leur vie et celle des autres.
— Monique Proulx, Le cœur est un muscle involontaire.
Une grande fatigue s’est emparée de moi. Combien d’oncles, de cousines et d’amis larmoyants ai-je embrassés? Leur émotion ravivait chaque fois la mienne. Puis le défilé a pris fin. Je suis rentrée chez moi, où tout paraît normal en surface. Je ne pleure plus.
Mais il y a cette fatigue qui me colle au corps.
Et quelque chose d’autre…
Quelque chose s’est brisé en dedans; une porte a été défoncée.
Je ne sais trop quelle bête dangereuse s’est échappée et rôde maintenant, libre, sans peur. Je l’entends rugir. Je suis à la fois terrorisée et fascinée par ses rugissements que rien n’apaise.
Elle peut enfin être la bête qu’elle a toujours été censée être.
Gare aux étourdies qui tenteraient de la museler voire de l’enchaîner parce qu’elle dérange.
* * *
C’est de prétendre que la porte existe encore qui m’épuise.