Improvisation poétique du dimanche
l’humanité, cette plaie suintante
l’humanité, cri de douleur qui rêve d’orgasme
le bonheur est une atypie récessive
pour le prévenir
il y a les fermes d’anxiété
appelées actualités
l’humanité, cette plaie suintante
l’humanité, cri de douleur qui rêve d’orgasme
le bonheur est une atypie récessive
pour le prévenir
il y a les fermes d’anxiété
appelées actualités
Il y a des mots qui pèsent lourd. Certaines vous diront que le mot le plus lourd de la langue française, c’est « aimer ». Des tonnes, qu’il pèse, ce petit mot, disait le vieux sage de l’île d’Orléans.
Le verbe aimer pèse des tonnes. Des tonnes de chagrin, de joie, d’inquiétude, de doutes, de cris, d’extase. Ne le fuis pas. Ne pas aimer pèse encore plus lourd.
— Félix Leclerc
Pour celles qui écrivent, le mot « non » peut aussi s’avérer bien lourd. Malgré son poids, il faut trouver la force de continuer. Ces jours-ci, cela signifie pour moi avoir confiance que je trouverai le bon éditeur pour le prochain chapitre de ma carrière littéraire. Au lieu de mettre en doute la valeur d’un texte qui ne fait pas l’unanimité, je me rappelle que la divergence est porteuse de progrès et que l’échec n’est rien qu’un autre stade vers ma réalisation — comme femme et autrice.
On a mis du temps à reconnaître le talent de la peintre Emily Carr, et J. K. Rowling a essuyé bien des refus avant la publication du premier tome de sa série à succès.
Le professionnel a appris que le succès, comme le bonheur, vient comme un sous-produit du travail.
Indépendamment des résultats, écrire est devenu en soi un cadeau. C’est la boussole qui me montre le chemin quand la tempête fait rage. C’est la gorgée de mousseux qui fait pétiller mes yeux, mon antidote contre le ras-le-bol. Les causes de ce ras-le-bol? Elles ne manquent pas! Les actualités en déversent à gogo, de la mainmise de Nestlé sur nos ressources hydriques à l’enfer d’Alep, sans oublier les clowneries d’un soi-disant candidat à la présidence chez nos voisines et voisins du sud…
À mes amis littéraires et aux inconditionnelles qui s’enquièrent aimablement de ma prochaine publication, de tout cœur, je vous dis merci. Je vous suis reconnaissante pour votre intérêt et vos encouragements, mais il faudra patienter encore un peu.
Et voilà que s’achève une autre année.
Les médias nous proposent chacun leur revue de 2014. Ils nous résument en quelques images ou paragraphes les moments marquants pour le pays et la planète. L’histoire s’écrit.
Je ne sais plus exactement quand j’ai commencé à faire de même, à passer en revue ma propre vie. C’était à une époque où j’avais le sentiment de piétiner. Mon bilan annuel m’a aidée à voir mes progrès et, surtout, à cultiver la gratitude. Lire la Suite
D’une voix dégoulinante de dédain, la femme s’est exclamée :
— Quel gaspillage!
J’occupais le siège opposé au sien dans l’autobus. Son index pointait vaguement vers Maman, l’araignée géante qui accueille visiteuses et visiteurs sur l’esplanade du Musée des beaux-arts du Canada. Toutefois, son commentaire se voulait plus général : il englobait tout l’art public.
Je me suis alors remémoré la grisaille des cités soviétiques, l’atmosphère glauque de Poussière sur la ville : des lieux où on étouffe, où les âmes meurent à petit feu.
L’art public contribue, autant que les parcs publics, à la qualité de vie dans nos agglomérations, à l’indice brut de bonheur. Un peu de beauté aide à combattre la déprime.
— Vous trouvez ça beau, une araignée!?
La beauté, bien sûr, est subjective; et un brin de subjectivité ne peut qu’être bénéfique pour ce monde obsédé par l’efficacité et le profit. Car la subjectivité renvoie au « sujet pensant »; son existence confirme qu’il y en a encore parmi nous qui ne sont pas des automates, qui peuvent envisager la réalité de façon différente. Elle invite au questionnement (devant une œuvre comme Arête jaune, comme Sous béton ou comme Le iShow, peut-on faire autrement que se questionner?).
Il y a dans nos villes trop de gens en loques, parce que le malheur qu’ils connaissent est plus rassurant que l’inconnu de sa remise en question; trop de cyniques qui tournent tout en dérision, parce qu’ils croient impossible le changement — ou, plutôt, ils croient que si les choses changent, ce sera pour le pire.
Je me suis abonnée il y a quelque temps à l’édition numérique d’un tout nouveau magazine dont une amie avait dit beaucoup de bien : Nouveau projet. C’est un magazine rafraîchissant, parce qu’il est justement fondé sur l’idée que :
[…] les choses peuvent et doivent changer — dans notre société, mais aussi en nous-mêmes. (1)
À ce moment précis de l’Histoire, alors que collectivement nous semblons hésiter entre le radicalisme, l’inaction totale et le refuge dans une poésie aussi cute qu’inoffensive, Nouveau Projet prend parti pour la nécessité de choisir l’engagement, en soi et en sa société. De se mettre au service de quelque chose de plus grand que soi. De redéfinir ce qui est nécessaire, ce qui est important. Et d’ainsi, peut-être, chacun à notre manière, inventer une nouvelle conception de ce qui est possible. (2)
Il s’en trouvera sûrement pour répliquer qu’il n’y a que les rêveuses ou les fous pour tenir pareils propos. À une époque, on pensait que c’était pure folie que d’envisager un jour visiter la Lune. Et pourtant…
La féministe québécoise Thérèse Casgrain aimait à dire : « Si on y met le temps, on arrive à cuire un éléphant dans un petit pot! ». Les rêves se concrétisent par l’action, de la même manière qu’on fait cuire un éléphant dans un petit pot : morceau par morceau. Mais sans rêve, sans imagination, on ne va nulle part.
Un forum sur le pouvoir des arts, coorganisé par l’Université Carleton et la Fondation Michaëlle-Jean, a eu lieu le mois dernier dans la capitale. En entrevue au Droit, Jean-Daniel Lafond, coprésident de la fondation, résumait avec éloquence l’importance de l’art :
Protéger la créativité, c’est assurer notre pérennité, puisque nous sommes toujours à deux doigts de la barbarie, comme en font foi les images que nous pouvons voir dans les journaux et les bulletins d’information à la télévision. Et puis, il ne s’agit pas de faire l’aumône: un artiste est aussi important qu’un boulanger. Chacun offre une forme de nourriture à ses concitoyens.(3)
Photo : Wikipedia.
Nous sommes déchirés par des pulsions contradictoires.
L’humain […] porte à la fois en lui le goût de vivre et l’instinct de la mort, l’ombre et la lumière, l’espoir et le désespoir(1).
La question du suicide assisté a refait surface dans les journaux il y a quelques jours. Une autre Britanno-Colombienne atteinte de sclérose latérale amyotrophique réclame, comme Sue Rodriguez avant elle, le droit de mourir avec l’aide de son médecin.
Embrouillaminis
Les médias embrouillent encore le débat en mettant dans le même panier les personnes qui militent pour le suicide assisté et celles qui dénoncent l’acharnement thérapeutique. J’ai déjà écrit sur le sujet, je ne vous resservirai pas la même salade. J’écrivais aussi plus tôt cette année que la sagesse réside parfois dans l’inaction, une voie contraire à la pensée technique(2) qui caractérise notre civilisation. Aimer quelqu’un, enseigne Stephen Jenkinson(3), c’est l’aimer jusque dans sa mortalité.
Leçons d’une mourante
Je pense qu’il faut avoir regardé la mort en pleine face, l’avoir toisée dans toute sa misère et sa splendeur pour prendre conscience du don fabuleux qu’elle nous offre, c’est-à-dire ce qu’elle nous apprend de la vie. Les gémissements de ma mère mourante, je ne les ai jamais oubliés, bien sûr. Surtout, je me rappelle le calme sur son visage quand ma sœur et moi prenions la guitare et jouions pour elle, la vastitude de son regard quand elle parlait à mon père. Dans sa chambre à la maison, transformée en un cocon d’amour par la solidarité de nos amies et de la parenté, le temps s’est souvent arrêté.
On s’étonne parfois du feu qui m’habite. Je croise au travail, dans l’autobus et dans les rues de cette ville tellement de morts-vivants, de pauvres hères qui parcourent sans entrain leur vie, yeux et poings fermés. Enfant, j’ai frôlé la mort. Au début de ma vingtaine, je l’ai regardée prendre ma mère, lentement, inéluctablement. De là vient, je pense, mon désir ardent de vivre la vie dans toute sa plénitude. Jusqu’au bout.
Sylvain Trudel a écrit : « c’est dans l’épreuve qu’on vient vraiment au monde » (4). Tels propos auraient enragés la jeune adulte que j’étais. Maintenant, je sais que c’est absolument vrai. Les arbres les plus solides ne sont pas ceux qu’on a tuteurés et abriés.
Une mort propre
Dans notre société, on cherche à balayer le plus vite possible la mort sous le tapis ou, à tout le moins, à la rendre « propre » — au point qu’elle en devient méconnaissable. Or, c’est justement la mort, la finalité de notre existence incarnée, qui bien souvent nous révèle le sens de la vie et nous enseigne ce qui a vraiment de la valeur. Là se cache aussi la clé (certes, parfois un brin oxydée ou rouillée) du bonheur.
[…] le bonheur étant cet équilibre impondérable entre « la détresse et l’enchantement » que l’homme atteint en s’abandonnant au mouvement même de la vie(5).
Je brûle de vous révéler ce qui se trame ces jours-ci dans ma vie d’autrice, mais j’ai promis d’attendre. J’attendrai donc. Quelques personnes sont déjà au parfum. Votre tour viendra d’ici quelques semaines.
En attendant, il faudra vous contenter du parfum des pivoines en fleurs et de l’herbe fraîchement coupée.
L’insatisfaction chronique
J’ai l’impression d’avoir jusqu’ici passé la majeure partie de ma vie dans l’attente de quelque chose, m’impatientant d’en voir le commencement, la fin, l’aboutissement, etc.
Au cégep, il me tardait de commencer l’université afin de pouvoir partir de la maison. Au bout de deux années à l’université, je ne pensais qu’à décrocher mon baccalauréat au plus vite pour entrer sur le marché du travail. Puis, quand j’ai commencé à gagner un salaire décent, je me suis mise à rêver du jour où j’aurais économisé assez d’argent pour acheter une maison. Même la publication de mon premier livre m’a laissé un sentiment d’insatisfaction : plutôt que de me réjouir d’avoir réussi ce qui, pour d’autres, ne dépasse jamais le stade du ramassis de feuilles raturées, je me suis désespérée devant les problèmes de distribution et les ventes faméliques.
En bref, je souffre d’insatisfaction chronique.
Vivre autrement l’attente
Au fil des ans, j’ai vécu quelques rémissions plus ou moins longues de cet état qui semble ronger tant d’âmes nord-américaines. Des moments de grâce.
Certes, l’insatisfaction a le mérite de m’avoir aiguillonnée toujours vers l’avant et de m’avoir permis de me dépasser. Sans elle, je n’aurais peut-être pas eu le courage de quitter la sécurité du nid parental pour me lancer à la poursuite de mes rêves. C’est vrai. Toutefois, mes rêves continuent de se développer, de sorte que la réalité ne les rattrape jamais tout à fait. Pour que motivation cesse d’aller de pair avec insatisfaction, il faut que j’apprenne à vivre autrement l’attente ou que je la transmue.
Quand je vais en promenade sur mon tricycle, je ne pense pas à une destination. En fait, je ne pense à rien. Je suis heureuse de simplement pédaler et d’admirer le paysage. Quand, penchée sur un des carrés de terre du potager, j’arrache une à une les mauvaises herbes, je ne pense à rien non plus, et je ne m’impatiente pas devant la besogne qui reste à abattre. Le secret de la transmutation de l’attente se cacherait-il donc au bout de la racine des chénopodes blancs?
Il y a quelques mois, un homme a brisé le cœur de mon amie A. Elle a vu une fois de plus lui échapper son rêve d’une « parfaite » vie à deux.
Dans les jours qui ont suivi, je lui ai appris ces vers de Leonard Cohen.
Ring the bells that still can ring
Forget your perfect offering
There is a crack in everything
That’s how the light gets in
[Sonnez les cloches qui peuvent encore sonner
Oubliez vos offrandes parfaites.
Il y a une fissure en toute chose.
C’est ainsi qu’entre la lumière.]*
A. y a puisé beaucoup d’encouragement; elle en a fait, en quelque sorte, son hymne personnel.
A., qui est travailleuse sociale, les a aussi enseignés à une cliente. Cette cliente a récemment participé à un programme psychoéducatif offert aux Ottaviennes et Ottaviens qui ont des problèmes de santé mentale. Les vers de Cohen avaient tellement touché cette cliente, qu’elle a décidé de les laminer et de les remettre avec une clochette à chacune des personnes suivant le programme avec elle. Tout au long de la journée, les participantes et participants se sont mutuellement encouragés en faisant tinter leurs clochettes. Les responsables du programme ont, au final, eux-mêmes adoptés les vers de Cohen.
J’ai eu la chair de poule quand A. m’a raconté cela. En effet, quand j’ai partagé ces vers avec elle, j’étais loin de soupçonner l’effet d’entraînement que j’allais produire. Et je me demande si M. Cohen, qui souffre de dépression chronique, a idée de toute la lumière qu’il a semée grâce à ses mots.
* Traduction de Jean Guiloineau. Les vers sont tirés de la chanson Anthem, dont les paroles et la traduction complètes sont disponibles sur le site Web officiel de M. Cohen.
Photo : Les 29 cloches du carillon de Rouen, Agence Meurisse, via Gallica.
Pour A.
Au milieu d’une tempête, quand le vent souffle en rafales, on a facilement l’impression que l’hiver ne finira jamais. Mais tout a une fin. L’hiver aussi. Et c’est l’eau de la fonte qui irrigue les nouvelles pousses.
Et si les plus grands miracles dans nos vies étaient ceux que nous ne remarquons même pas, pour lesquels nous oublions de rendre grâce?
Certaines clament que Noël est la fête des enfants. (Soit, mais l’enfant que chacune a été continue de vivre — avec ses blessures et ses peurs — au fond de notre cœur; en vérité, Noël devrait donc être la fête de tout le monde.)
Les cyniques claironnent que Noël n’emballe que les marchands. (J’ai fabriqué de mes propres mains plusieurs des cadeaux que j’offrirai; j’ose croire qu’ils ne feront pas moins plaisir.)
Il y en a qui, dans la joie et l’authenticité, fêteront vraiment, entourés des gens qui leur sont les plus chers, au coin du feu, sous les étoiles, au pied d’un autel ou autour d’une table croulant sous le poids des victuailles.
Il y en aussi pour qui cette journée sera la plus sombre de l’année (même si les jours ont, de fait, recommencé à allonger); la plus sombre, parce qu’obscurcie par la solitude, les conflits familiaux, la pauvreté, etc.
À tous les hors-la-fête, j’offre ces mots :
quand s’étire la nuit
quand le noir suffoque l’espoir
allume une bougie