Écrire c’est… [39]

Écrire c’est se corrriger.

Quand j’écris, je traduis la langue inadéquate de mes pensées et de mes affects. Ecrire, c’est se corriger à l’infini.

— Olivier Cadiot

Certes, corriger le texte (pour en améliorer la structure et le style, pour débusquer les fautes de grammaire et les impairs); et parfois, à travers lui, aussi corriger ma pensée.

Les mots jouent, sur la pensée, le même rôle que la lune sur les marées.

— Armand Gatti


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Écrire c’est… [38]

Écrire c’est politique.

La littérature est politique. La poésie est politique. Et la traduction aussi.

— Canan Marasligil

Les histoires que je choisis de raconter, la posture que j’adopte dans mes textes, le vocabulaire que j’utilise, les idées que je mets de l’avant, les personnages que je crée, tout cela a une dimension politique.

Quand André Paiement a lancé son provocant «Moé j’viens du Nord, s’tie», il a posé un geste éminemment politique, comme le rappelle ce mois-ci Isabelle Bourgeault-Tassé dans un article qui retrace la carrière trop brève de cet artiste du Nouvel-Ontario — un geste qui s’apparente à celui de Michel Tremblay lorsqu’il a choisi de faire parler les personnages des Belles-Sœurs en joual. Les deux artistes affirmaient une identité francophone distincte dans l’espace nord-américain.

Choisir d’écrire en français dans cet espace est politique — c’est un défi à l’anglonormativité. Mais au moment où Tremblay et Paiement ont présenté au monde leurs créations, je soupçonne que la politique était loin de leur pensée, qu’ils répondaient seulement à une impulsion profonde, un désir d’exister pleinement et de mettre des mots sur leur réalité.

Mon besoin de nommer flirte souvent avec celui de revendiquer. Toutefois, dans mes romans, je cherche d’abord à ouvrir des perspectives nouvelles et à susciter chez l’autre un questionnement en écho aux questions qui m’interpellent moi-même. Je ne suis pas du genre à brandir une pancarte sur la colline parlementaire (je me sens mal dans les foules debout), mais j’utilise volontiers ma parole pour en relayer d’autres et élargir le débat public — parce que la vérité est plurielle. D’ailleurs, pour Jean-Paul Sartre, la parole est action.

L’écrivain engagé sait que la parole est action : il sait que dévoiler c’est changer et qu’on ne peut dévoiler qu’en projetant de changer.

— Jean-Paul Sartre

Cette action me semble par moment dérisoire, mais j’ai aussi des textes à traduire, un corps à soigner et de la vaisselle à laver.


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Écrire c’est… [37]

Du chaos naissent les étoiles

C’est le titre — très poétique — d’un roman de Marilyse Trécourt; la phrase est parfois attribuée à Charlie Chaplin. Elle apparaît un peu partout et ressemble à s’y méprendre à une citation de Nietzsche : «Il faut porter encore en soi un chaos, pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante.»

Elle semble faire écho à un verset de la Genèse (1/1-2) : «Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. La terre n’était que chaos et vide. Il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme et l’Esprit de Dieu planait au-dessus de l’eau.»

Du chaos naissent les étoiles. On pourrait aussi écrire : du chaos naissent les mondes.

Écrire c’est organiser le chaos.

Un roman est un monde : un monde d’idées et de mots que l’autrice organise et assemble patiemment à sa table une lettre, un signe à la fois sur des mois, voire des ans.

À l’ère du tout numérique, on me propose une foule d’applications (EverNote, Scrivener et autres) pour m’aider dans cette tâche digne de titans et déesses — chacune d’elles apporte son propre chaos. Moi seule ai le pouvoir d’apporter l’ordre.

Dans ce monde-là, le monde des mots, l’ordre est possible.

Dans l’autre, dans celui qu’on appelle « réel », le chaos persiste : il y a des idiots qui se prennent pour des rois, des îles de plastique, des gens à qui on propose l’euthanasie au lieu d’une aide substantielle, des écrivains à la parole si libre qu’on les gratifie de coups de poignard.

Le chaos.

Chaque jour, pendant quelques instants, je trouve dans le joyeux chaos des mots et des mondes qu’ils échafaudent un refuge contre l’autre — le terrifiant et indomptable chaos des hommes.

Écrire c’est… [36]

Écrire, c’est tenter de nommer le monde. Écrire, c’est faire oublier la laideur du monde, parfois en la regardant en face. Écrire, c’est parfois même changer un peu le monde.

C’est ce qu’affirmait récemment l’autrice Mélikah Abdelmoumen dans Lettres québécoises.

La beauté côtoie la laideur. Elle refuse de se laisser écraser par elle. Je continue d’écrire pour magnifier la beauté du monde quand il hurle, crache et explose.

Écrire c’est… [35]

Désorientée devant les morceaux du manuscrits à assembler et polir, j’ai repris le livre de Natalie Goldberg, Wild Mind — Living the Writer’s Life. J’ai parcouru les passages soulignés et j’ai lu :

[…] l’écrivaine doit accepter de s’asseoir au fond de la fosse, se résoudre à y rester, puis laisser venir à elle les bêtes sauvages et même les appeler pour se mesurer à elles, les coucher sur le papier plutôt que de s’enfuir*.

Surtout ne pas fuir. Dompter la ménagerie de pixels et de papier sur mon bureau.

* Texte original : «[…] a writer must be willing to sit at the bottom of the pit, commit herself to stay there, and let all the wild animals approach, even call them up, then face them, write them down, and not run away.» (Bantam, 1990, p. 29)

Fénixal

Dans le monde d’Après Massāla, c’est aujourd’hui le début de fénixal. Mois intercalaire d’une durée de cinq jours (six les années bissextiles), fénixal tient son nom du phénix, oiseau mythique qui renaît périodiquement de ses cendres. Le mythe précède de quelques millénaires la naissance de Fumseck dans l’imagination de J. K. Rowling. Son origine remonte à l’Égypte ancienne, mais des oiseaux semblables existent dans la mythologie de plusieurs autres peuples, y compris chez les Premiers peuples de l’Amérique1.

Gravure dans les tons sépias montrant un phénix.

Le mois de fénixal rappelle à toutes et tous que dans la fin, il y a aussi la possibilité d’un recommencement — d’une renaissance.

Cet automne, dans notre monde, le milieu des arts littéraires vit une sorte de renaissance : le retour des activités en présentiel. D’ailleurs, en fin de semaine, je suis au Salon du livre de Montréal. Je signerai avec un vrai stylo de vrais livres pour les vrais humains qui s’arrêteront à ma table.

Image : gravure de Pierre Roche, 1896.

  1. Wikipédia.

Écrire c’est… [34]

Écrire est un art de la lenteur, affirme Rosalie Lavoie dans Lettres québécoises :

Cet art, qui se pratique loin des regards et des jugements immédiats (du moins avant la publication, et sauf le jugement que l’on porte sur soi-même, qui est sans doute le pire de tous), est un art de la lenteur, le temps est un allié inestimable, et j’ai appris à travailler avec lui.

Après Massāla : construction d’une grammaire

Dans ce dernier d’une série de trois billets autour de mon nouveau roman, je vous invite à explorer l’univers de Massāla à travers quelques-unes des inventions grammaticales insérées dans la parlure des personnages.

Collage avec plan manuscrit de la place de l'Étoile. Au centre on lit les mots : « Inventer un monde et... sa parlure ».

La langue porte et structure la pensée; elle véhicule une vision du monde. Il m’a paru insensé de raconter une société matriarcale et de faire parler ses membres en appliquant des règles de grammaire patriarcales, selon lesquelles «le masculin l’emporte sur le féminin».

Au sein de la massalité, le féminin l’emporte. Car, comme l’affirme une célèbre linguiste massalaise (citée dans une annexe du livre), «[s]eul le féminin a la force et l’extensibilité nécessaires pour contenir en lui le masculin. C’est inscrit dans la biologie.»

Bien que le féminin joue souvent le rôle de neutre, le massalais a aussi quelques mots de genre neutre en plus du masculin.

Quelques neutres massalais

cèli

La forme neutre de celle/celui.

toustes

Un pronom qui veut dire «toutes et tous».

Si vous êtes un ou une habituée de l’écriture inclusive, vous connaissez sans doute celui-là, qui circule depuis quelques années.

quèle

La forme neutre de quelle/quel.

Je pourrais aussi vous parler de « moé » et « noé », mais je ne voudrais tout de même pas gâcher votre lecture en vous en révélant trop ici. Toutes ces inventions, en donnant aux dialogues un parfum d’étrangeté, aident à une immersion plus complète dans l’univers de Massāla. Mais ne vous en faites pas : même les touristes francophones s’y retrouveront — promis!

Après Massāla : macrons et trémas

Dans ce deuxième d’une série de trois billets autour de mon nouveau roman, je vous invite à explorer l’univers de Massāla à travers quelques-uns des mots que j’ai créés ou redéfinis pour camper l’histoire.

L'image montre une carte faite à la main avec des chiffres. Sur une feuille lignée à côté, on voit une liste de noms associés aux différents chiffres : Wanakie, Srikoura, Indasie, Europiento, etc.

Les mots de la massalité

macron

nom masculin | Le macron est un signe diacritique dont l’invention précède la massalité, mais qui n’est généralement pas utilisé en français au XXIe siècle (calendrier grégorien). Il prend la forme d’une barre horizontale que l’on place le plus souvent au-dessus d’une voyelle. Le macron dans le nom de Massāla (ā) indique que cette voyelle est plus longue. 

Pourquoi Massāla plutôt que Massala, n’est-ce pas la même chose, me demanderez-vous? Ce n’est pas la même musique. Lorsque vous vous attardez sur le deuxième «a», soudain, un vent de mystère s’engouffre dans votre bouche, puis se faufile un chemin jusqu’à vos neurones.

grande-harmouïtrice; grand-harmouïteur

nom | Au sein du Consensoire, cèli [celui ou celle] qui écoute les divers points de vue et besoins relayés par les délégataires, puis mobilise toustes en vue d’une action commune qui sert l’équilibre vital et l’harmonie collective.

Dans «harmouïtrice», il y a les mots «harmonie» et «ouïr». Un peu plus d’écoute et d’harmonie, ça changerait nos parlements et assemblées législatives. Et le tréma dans «ouïr» fait presque toujours naître un sourire en moi.

Je reviendrai sur «cèli» et «toustes» dans le prochain billet.

Kiva

nom propre féminin | Le canon des écrits et images sacrées de la société massalienne. La Kiva comprend les Carnets rouges, les Psaumes de Massāla et les Épîtres sororaux.

Dans «Kiva», il y a le verbe aller (va), l’idée de mouvement. Il y a aussi comme un écho de «ça va», «ce qui va». J’ai découvert bien après coup que c’est aussi le nom donné à une pièce servant aux rituels religieux chez les Pueblos. La coïncidence m’a plu.

Après Massāla

Qui est Massāla? Une femme ordinaire, une messie, une impostrice? La réponse dépend de celui ou celle à qui vous posez la question. Tout le monde s’entend à tout le moins sur un point : elle était mère. Et, bien sûr, elle a aussi donné son nom à la nouvelle ère.

Je lance dans quelques jours mon troisième roman. C’est le premier tome d’une trilogie que j’ai intitulée Après Massāla. Dans ce billet, le premier d’une série de trois*, je vous invite à explorer l’univers de Massāla à travers quelques-uns des mots que j’ai créés ou redéfinis pour camper l’histoire.

Couverture du livre L'Ordre et la Doctrine - Après Massāla, tome 1. On voit un édifice massif surmonté par une coupole blanche au milieu d'un parc verdoyant. Des enfants courent ici et là. Dans le lointain, on distingue de hautes tours.

Les mots de la massalité

vir

nom masculin | Homme de sexe masculin.

En l’an 2021, pour les francophones, le mot «homme» désigne tantôt l’espèce, tantôt les mâles de l’espèce. À cause de cela, les «virs» ont souvent l’illusion de tout contenir, d’être universels; pourtant, ils comptent pour moins de la moitié de l’humanité.

homme

nom neutre | Terme générique qui désigne femmes et virs.

Le mot «homme» est enfin désambiguïsé et pleinement universel. Enri peut donc s’exclamer à propos de la directrice des Fouilles et Acquisition, au Musée panaméricain d’histoire et d’anthropologie: «Quèle homme!» Je reviendrai sur le mot «quèle» dans un autre billet.

massalais

nom masculin | Langue qui est à l’univers massalais ce que le latin était au temps de l’Empire romain.

* Ou quatre ou cinq? Hum… C’est un beau chiffre, cinq, mais… Et puis zut! tant qu’à y être, allons-y pour un autre trois.

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