Un optimisme franco-ontarien

Ma décision de quitter Montréal pour Ottawa m’a amenée à jeter un regard très différent sur le fait français en Amérique, et sur mon identité francophone.

Ottawa m’a d’abord adressé la parole en anglais. J’ai fini par apprendre que je pouvais quand même répondre bonjour — en fait, j’ai appris qu’un simple bonjour pouvait être un acte politique. Au Québec, j’avais grandi parmi des francophones majoritaires, mais qui se définissaient par leurs défaites : les plaines d’Abraham, la rébellion des Patriotes, le référendum. En Ontario, j’ai grossi les rangs d’une francophonie minoritaire, mais se définissant plutôt par ses victoires : la bataille des épingles à chapeau, la Loi sur les services en français, Monfort (et bientôt, à n’en pas douter, l’Université de l’Ontario français).

Écrire à Ottawa

C’est à Ottawa que je suis vraiment devenue écrivaine. Mon premier roman, j’en ai écrit une bonne partie à la table de ma cuisine, dans un appartement de la rue O’Connor, à quelques rues du Parlement. Je l’ai toutefois publié chez un petit éditeur montréalais. La plupart des exemplaires sont restés invendus et ont fini au pilon quand l’éditeur a fermé boutique. J’en ai rescapé une brassée. Plus tard, peut-être ferai-je de ce livre une réécriture à la Laferrière.

Mon deuxième roman, Un jour, ils entendront mes silences, a connu un sort plus heureux. Est-ce que publier à Ottawa m’aurait porté chance? Les Éditions David m’ont annoncé ce mois-ci sa réimpression — belle surprise! Le tirage initial est épuisé. Je suis enchantée que le livre suscite encore un intérêt six ans après sa parution, et que David lui insuffle un nouveau souffle.

Virages et vertige

Ce mois-ci, paraît ma dernière chronique dans À bon verre, bonne table. En effet, après quinze ans, j’ai décidé de céder ma place à quelqu’un d’autre et d’ouvrir la porte à de nouvelles possibilités. J’ai pris la décision il y a plusieurs mois, mais elle se concrétise à peu près en même temps qu’une autre, majeure celle-là : mon départ de l’emploi que j’occupe depuis une décennie pour démarrer ma propre entreprise.

Moins de prévisibilité, plus de liberté!

Je vous avoue éprouver un certain vertige, mais je suis aussi emplie d’un optimisme tout franco-ontarien.

Les invisibles

Si vous êtes propriétaire d’une maison ou d’un appartement, je présume que, comme moi, vous aimez bien pouvoir exhiber (à la parenté, à vos amies, à votre oncle Antoine ou à votre déneigeur même) le résultat des travaux pour lesquels vous avez stoïquement ponctionné votre compte en banque. De nouvelles armoires pour la cuisine ou une décoration au goût du jour pour la salle de bain des maîtres, c’est sexy! Tandis que le remplacement d’une vieille conduite enfouie à trois mètres de profondeur ou d’une pompe hors d’usage dans les entrailles de la maison vous laisse un arrière-goût amer. Vous avez beau vous répéter que ces travaux étaient nécessaires, leur invisibilité vous empêche d’en tirer une fierté publique. (Sacrilège!)

Dans ma vie littéraire, je me suis surtout consacrée à des travaux invisibles cette année. J’ai notamment cherché à excaver certaines de mes croyances quant au succès et à la condition d’artiste. J’ai rejeté l’aura de l’autrice torturée et, petit à petit, je me fraie un chemin vers une créativité à l’enseigne de la jouissance et de l’illumination.

Le mot « Démenottée », qui intitulait mon billet de juillet, semble à lui seul contenir l’essence même de cette démarche. J’ai écrit, bien sûr; j’ai encore plusieurs projets en chantier. J’ai fait beaucoup de soumissions aussi. On y a souvent répondu par la négative (mes billets de septembre et novembre étaient des refus recyclés), mais une de mes soumissions a été incluse dans la collection de textes publiés sous le titre : Raconter Vanier.

J’ai lu 17 livres (moins que l’an dernier). Celui qui m’a le plus marquée s’intitule Kuei, je te salue. Il s’agit d’un échange de lettres entre Deni Ellis Béchard et Natasha Kanapé Fontaine — entre un Allochtone et une Autochtone ayant en commun l’écriture et un désir de dépasser les idées reçues. Mon exemplaire est rempli de passages soulignés, d’icônes exclamatives et de notes.

Tout se transforme en une lutte intérieure surhumaine pour atteindre la grâce.

— Natasha Kanapé Fontaine

Une lutte invisible…

Un des moments phares de cette année de travaux invisibles, ce fut mon séjour chez les Augustines, à Québec — où j’ai trouvé un peu de grâce, justement.

Dans cette grâce, j’ai puisé la force d’essayer des approches nouvelles. Par exemple, j’ai créé un cercle de mécènes, lequel vous permet d’exprimer de façon très concrète votre appréciation pour le contenu original publié ici (et, ce faisant, compenser les coûts inhérents au maintien du site). Les mécènes, encore invisibles, mais dont je pressens déjà la solidarité féconde, auront droit à des récompenses exclusives, en fonction de leur niveau d’engagement financier.

Ces travaux invisibles, je pourrais aussi les appeler « fondations ».

[À suivre]


MISE À JOUR : Aucun mécène ne s’étant manifesté, en décembre 2019, j’ai supprimé le site que j’avais créé sur la plateforme Patreon pour recueillir des contributions financières.

Autre année, autres lectures

J’ai récemment livré ma chronique printanière au magazine À bon verre, bonne table. J’y présente deux livres qui m’ont emballée, des livres pratiques qui sont pleins de personnalité. Sous les mots, je pouvais sentir la présence et, surtout, la passion des auteurs — mais je n’en dis pas plus pour l’instant, vous devrez attendre le magazine!

Couverture - Flâneries laurentiennesAu départ, ma sélection pour cette chronique devait inclure Flâneries laurentiennes, sur la route des écrivains, que j’ai finalement écarté parce que l’ouvrage m’a laissée de glace. Une introduction fade, un contenu qui donne une impression de désorganisation, des photos (principalement noir et blanc) ne rendant pas justice à la beauté de la région… J’étais peut-être d’humeur bougonne, qui sait? Dans un marché sursaturé, où chacun rivalise d’originalité pour se démarquer, ce livre ne faisait tout simplement pas le poids à mes yeux. Bref, il n’a pas réussi à me donner le goût d’aller flâner dans les Laurentides. J’ai abandonné la lecture.

Couverture - Routes incertainesL’automne a été tellement chargé que je n’ai pas fait mention du tome 3 des chroniques du Nouvel-Ontario, Les routes incertaines.  C’est la conclusion de la grande saga d’Hélène Brodeur, que Prise de parole a rééditée dans sa collection Bibliothèque canadienne française. Mon exemplaire traîne encore dans un coin du bureau. Lirai ou ne lirai pas? Telle était la question. Je l’ai pris,  je l’ai ouvert. Quatre pages ont suffi à me convaincre : j’avais envie de savoir ce qui allait arriver à Émilia et à Jean-Pierre.  Le voilà donc officiellement ajouté à  ma pile « à lire ». En 1986, Georges Bélanger écrivait à juste titre :

[…] cette trilogie pourrait fort bien faire l’objet d’un film ou d’une télésérie aussi captivant que les Dallas, Dynastie ou Louisiane du petit écran, parce que les personnages s’y révèlent vivants, passionnés et profondément humains. (1)

Toutes les écrivaines ont d’abord été lectrices. Toutefois, écrire a changé ma façon de lire : je porte attention à ce qui me fait aimer ou détester un livre, j’essaie de distinguer les rouages de l’histoire, de percer le secret d’une magie que parfois l’autrice elle-même ne comprend pas consciemment. Ce qui influence en retour ma façon d’écrire, bien sûr!

Je travaille sur un nouveau roman. Je vous parlerai plus tard des vertiges que provoque en moi cette histoire. Je suis encore à planter le décor, à construire les personnages. M’accompagne dans ces premiers pas le livre Writing Begins with the Breath, de Laraine Herring. Pour elle, écrire n’est pas qu’une démarche intellectuelle; c’est un art qui engage toutes les facettes de notre être. Quiconque souhaite approfondir sa pratique d’écriture trouvera dans ces pages des conseils et des exercices éclairants.

Couverture - Writing Begins with the BreathIl est facile d’oublier l’importance du corps quand on écrit, dit Herring. Parce que mots et langage sont des constructions de l’esprit, nous assimilons généralement l’écriture à une activité purement intellectuelle. Certes, le langage appartient au domaine de l’esprit, mais les histoires portées par notre voix authentique montent du corps. Nos cellules ont une mémoire, et dans cette mémoire sont enregistrées toutes nos expériences — exprimées ou refoulées, parfois oubliées même. (2) Herring enseigne à y puiser pour enrichir notre écriture.

Avez-vous de belles lectures au programme cette année? Si vous peaufinez encore votre liste, peut-être voudrez-vous jeter un œil aux résolutions de lecture de Marie Hélène Poitras avant de la finaliser. Bonne année!

1. BÉLANGER, Georges. « Une fresque du Nouvel-Ontario », Liaison, no 53, 1986 (consulté sur le site Érudit).

2. HERRING, Laraine. Writing Begins with the Breath, Shambala, 2007, p. 7.

Un jour, ils entendront mes silences

Depuis le temps que je brûle de le faire, je peux maintenant l’annoncer officiellement : je publierai cet automne un nouveau roman aux Éditions David. Il a pour titre Un jour, ils entendront mes silences.

Au fil des mois et des ans, je vous ai parlé à quelques reprises du projet (notamment, ici et ici), que j’avais provisoirement intitulé La roseraie des transformeurs. Le projet est maintenant devenu réalité. Vous pourrez le tenir entre vos mains en octobre.

J’espère que vous aurez plaisir à faire la connaissance de Corinne, l’héroïne de ce livre : une enfant différente. Elle m’a fait vivre bien des émotions!

Je vous tiendrai au courant à mesure que se préciseront les détails de la parution d’Un jour, ils entendront mes silences.

Je lis

Je n’écris pas ces jours-ci. Alors, je lis.

Le saviez-vous, Rue des libraires — le portail des librairies indépendantes du Québec — vend aussi des livrels? L’interface du site est d’ailleurs la plus élégante et la plus conviviale que j’aie vue jusqu’à présent.

Le réseau des librairies indépendantes du Québec a lancé ce mois-ci une webémission consacrée à la littérature, qu’anime Elsa Pépin : Rature et lit.  Pour la première, l’animatrice reçoit les cinq finalistes du Prix des libraires 2012. J’ai trouvé le début plutôt soporifique, mais la discussion s’est animée quand elle s’est tournée vers le livre de Karoline Georges, Sous béton. La formule a du potentiel.

Dimanche, dans le train, j’ai terminé la lecture d’À toi, de Kim Thuy et Pascal Janovjak. Ce livre rassemble la correspondance que l’écrivaine et l’écrivain ont échangée sur une période de trois mois. Ils y parlent de leur vécu de déracinés, de l’écriture,  de leur vision de l’amour, du monde, etc. Ce n’est pas Ru, mais il y a quand même de beaux passages dans ce petit livre :

[…] on n’a jamais que la beauté que l’on mérite — celle du regard que l’on porte sur les choses.

J’ai entamé aussitôt Maleficium, de Martine Desjardins, un inclassable au parfum d’interdit. Elsa Pépin, justement, écrivait à son sujet dans La Presse que ce livre, « présenté comme le traité hérétique d’un certain abbé Savoie (1877-1913),  recèle d’étranges histoires d’horreur aussi excitantes que malaisées. » « Jamais le péché ne vous aura semblé aussi irrésistible », conclut l’éditeur en quatrième couverture. C’est juste. La langue de Desjardins, d’une précision et d’une élégance rares, est aussi irrésistible.

Ma prochaine lecture sera sans doute, le tome 2 des Chroniques du Nouvel-Ontario, dont la version ePub est enfin en ligne (plusieurs semaines après la version imprimée et la version PDF). On peut en lire un extrait et acheter la version imprimée sur À vos livres, le site du Regroupement des éditeurs canadiens-français; toutefois, pour la version numérique, il faut se tourner vers Rue des libraires, Archambault ou Renaud-Bray. Étrange, mais c’est comme ça. Enfin, j’ai bien hâte de le lire, ce second volet des chroniques d’Hélène Brodeur — un classique de la littérature franco-ontarienne.

Prix et ventes

Les prix littéraires influencent-ils vos lectures?

En France, quelque 700 livres sont parus durant la rentrée littéraire de 2010. L’auteur Alain Mabanckou, faisant écho à Frédéric Beigbeder, affirmait sur son blogue (Black Bazar) que « la rentrée littéraire est une maladie française qu’il ne faut surtout pas soigner »!

Ajoutez à cela les titres québécois, belges, canadiens… La maladie prend alors des allures de pandémie! À l’évidence, une lectrice doit faire des choix. Et j’avoue que mes choix sont parfois guidés par les prix littéraires. Le Figaro les appelle les « machines à vendre ». Comme écrivaine, je rêve bien sûr d’en remporter… un jour!

Sur le blogue De nos pinceaux et de nos stylos, Claude Lamarche parlait récemment des « limites des maisons d’édition régionales ». Certes, elles ne disposent pas des mêmes budgets, mais j’ose croire qu’un bon livre, même publié chez un petit éditeur, finit par trouver son lectorat. Le cas de Johanna Skibsrud le prouve. Son premier roman, intitulé The Sentimentalists, a remporté le Giller — la plus haute distinction littéraire au Canada anglais. Il a pourtant été publié chez un obscur éditeur de la Nouvelle-Écosse : Gaspereau Press.

La ville d’Ottawa a aussi son prix littéraire. Comme les prix du Gouverneur général et comme les prix Trillium, il s’agit d’un prix bilingue. Cet automne, le prix de langue française a été remis à mon amie Claire Rochon, pour son superbe recueil de poésie Fragments de Sifnos. Il figure dans ma bibliothèque Babelio et, si vous aimez la poésie, je vous encourage à découvrir ce petit bijoux lumineux.

Cotsco et Walmart, bourreaux des libraires

Laure Waridel l’a dit : « Acheter, c’est voter ».

Alors, où achetez-vous vos livres? Surtout, ne me dites pas que vous achetez chez Costco ou Walmart… Les livres y sont peut-être moins chers, mais il y a un prix à payer! Vous en doutez? Lisez le récent billet d’Éric Simard sur l’agonie des librairies indépendantes et le coût réel d’une visite chez Costco.

En Ontario, il ne reste plus que sept librairies francophones : l’an dernier, la seule librairie francophone de Toronto a fermé ses portes parce que les conseils scolaires l’ont délaissée pour s’approvisionner directement chez les grossistes.  Comme le disait Jean Malavoy à l’Express, une librairie est plus qu’un commerce : c’est un foyer de rayonnement culturel.

Bien sûr, la chaîne du livre est appelée à changer. L’avènement d’Internet et du livre électronique causent déjà des remous — annonciateurs d’un raz-de-marée. Pour survivre, les librairies vont devoir s’adapter à ces nouvelles réalités. Mais encore faut-il leur en laisser le temps.

À quand remonte votre dernière visite chez votre librairie indépendante?

Un raté somptueux

Le numéro 148 de la revue Liaison vient de paraître. J’y signe une critique intitulée « Un raté somptueux », consacrée au plus récent livre de Daniel Soha : L’Orchidiable.

EXTRAIT : « Tandis que les Beatles chantent All you need is love, une adolescente londonienne d’une beauté édénique découvre la sensualité, telle une orchidée éclose au creux de ses entrailles… »

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